Pour une éthique des signes. Science, écriture et idéologie dans l’œuvre de Roland Barthes. (Steven Engels)

 

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Chapitre premier: de la mythologie à la sémiologie et au-delà

 

Puisque le mythe vole du langage, pourquoi ne pas voler le mythe?

 

Invoquée pour la première fois dans la postface à Mythologies en 1956, la sémiologie s’impose lors de la première moitié des années 60. A cette époque, Barthes la croit capable d’analyser scientifiquement le fonctionnement immanent de systèmes de signification idéologiques. Très vite pourtant, il commence à douter de son efficacité et il finit même par en dénoncer la teneur idéologique. Dans les pages qui suivent, nous regarderons de plus près cette réévaluation de la sémiologie dans ses rapports avec l’idéologie. Notre analyse comporte deux parties: d’abord il sera question des tentatives de Barthes pour constituer une “science des signes” et ensuite, des raisons pour lesquelles il abandonne, à partir du milieu des années 60, la sémiologie scientifique traditionnelle.

 

 

1. Mythes et mythologie

 

Entre 1954 et 1956, Barthes publie, dans Les Lettres nouvelles, une cinquantaine d’articles dans lesquels il se propose d’analyser “quelques mythes de la vie quotidienne française”[36]. Au-delà de la disparité sur le plan thématique, la plupart des essais mythologiques trouvent leur unité dans un même projet critique: ils visent tous le faux naturel dont les mass media affublent la société bourgeoise. Selon Barthes, celle-ci est le produit d’une histoire bien spécifique et n’a donc rien de naturel. Qui plus est, Barthes décèle dans la “naturalisation” systématique de faits historiques une stratégie idéologique typique de la classe bourgeoise qui, afin de consolider son pouvoir, s’efforce à muer celui-ci en une évidence naturelle.[37]

Au moment où il rassemble les “petites mythologies du mois”[38] afin de les publier en recueil, Barthes y ajoute une postface intitulée “Le mythe, aujourd’hui”[39]. Dans cet essai, il entreprend à la fois de systématiser les analyses concrètes précédentes et de fournir une base scientifique à la “mythologie”. Il n’entre pas dans nos intentions d’examiner en profondeur le rapport - rapport ambigu, il est vrai - entre, d’une part, la théorie mythologique de la postface et, de l’autre, les études concrètes qui constituent le corpus des Mythologies.[40] Dans le cadre du chapitre présent, nous ne nous attarderons qu’au traité théorique de 1956, puisque c’est là qu’apparaît pour la première fois la notion de “science des signes”. Notre lecture du texte s’articule en trois temps. Dans un premier volet, il sera question du fonctionnement immanent des systèmes signifiants mythiques. Ensuite, nous examinerons le supplément socio-historique susceptible d’expliquer pourquoi la société moderne “est le champ privilégié des significations mythiques”.[41] Finalement, nous nous attarderons aux problèmes méthodologiques que pose la théorie mythologique et qui expliquent l’évolution ultérieure de la sémiologie barthésienne.

 

1.1. Le fonctionnement immanent des mythes

 

Dans “Le mythe, aujourd’hui”, Barthes définit le mythe comme “un système de communication”[42] articulé autour de trois termes déjà retenus par Saussure, à savoir le signifiant, le signifié et le signe (ce dernier étant la corrélation des deux premiers). Cependant, le mythe diffère des systèmes de communication ordinaires: par rapport à ceux-ci, il est secondaire. Il use de signifiants déjà existants pour générer du sens:

 

           (…) le mythe est un système particulier en ceci qu’il s’édifie à partir d’une chaîne sémiologique qui existe avant lui: c’est un système sémiologique second. Ce qui est signe (c’est-à-dire total associatif d’un concept et d’une image) dans le premier système, devient simple signifiant dans le second. [43]

 

Dans la mesure où le mythe se greffe sur un système sémiologique premier, il entraîne une déformation de celui-ci. Avant d’approfondir davantage ce phénomène, Barthes introduit quelques distinctions terminologiques et cela afin de bien séparer le système communicatif premier du système mythique. Le signifiant est appelé “sens” ou “forme” selon qu’on l’envisage comme terme final du système linguistique ou comme point de départ du mythe[44]. Il importe, en outre, de distinguer entre le “signe” qui est le troisième terme du système linguistique, c’est-à-dire la corrélation du signifié et du signifiant, et la “signification” qui est le troisième terme du système mythique[45]. Pour le signifié du système mythique, il n’y a, selon Barthes, “aucune ambiguité possible”: il lui laisse le nom de “concept”[46]. Schématiquement, l’on peut représenter la terminologie barthésienne de la façon suivante:

 

Afin de concrétiser davantage ses propos, Barthes applique la terminologie du schéma à deux exemples concrets dont nous ne retenons que le plus célèbre, celui de la photo du noir saluant le drapeau tricolore français. L’image transmet, selon Barthes, le sens suivant: ‘un soldat noir fait le salut militaire français’. Lorsque le mythe s’empare de ce sens, il le transforme en forme, c’est-à-dire en signifiant d’un deuxième système communicatif, et il le lie à un concept. Au niveau du mythe, le sens de la photo est surdétérminé par la signification que voici: ‘la France est un grand empire, tous ses fils, sans distinction de couleur, servent fidèlement sous son drapeau’. Comme tout mythe, la photo du soldat africain véhicule donc deux messages différents que l’on peut distinguer l’un de l’autre au niveau de l’analyse mais qui, en réalité, coexistent. Lors de la transformation mythique, l’histoire qui soutient le sens recule et s’évapore. Pour le mythe, la biographie et la particularité individuelle du soldat saluant le drapeau français importent bien peu. La parole mythique en fait abstraction et ne conserve de l’image que sa forme vide: “en devenant forme, le sens éloigne sa contingence; il se vide, il s’appauvrit, l’histoire s’évapore, il ne reste plus que la lettre.”[47] Ceci n’implique pourtant pas que le sens de l’image disparaisse derrière sa forme. Bien que le mythe déforme le premier système sémiologique, il ne cache rien. Le sens et la forme sont parfaitement manifestes; ils se superposent: “le sens est toujours là pour présenter la forme, la forme est toujours là pour distancer le sens.”[48] La déformation mythique du système sémiologique premier n’a rien d’une destruction; elle fonctionne à la manière d’un “alibi”:

 

(…) la signification du mythe est constituée par une sorte de tourniquet incessant qui alterne le sens du signifiant et sa forme, un langage-objet et un méta-langage (…) Je ne veux pas préjuger des implications morales d’un tel mécanisme, mais je ne sortirai pas d’une analyse objective si je fais remarquer que l’ubiquité du signifiant dans le mythe reproduit très exactement la physique de l’alibi (on sait que ce mot est un terme spatial): dans l’alibi aussi, il y a un lieu plein et un lieu vide, noués par un rapport d’identité négative (‘je ne suis pas où vous croyez que je suis; je suis où vous croyez que je ne suis pas’).[49]

 

Grâce à l’ubiquité de son signifiant, le système mythique garde son apparence innocente: le sens premier reste toujours présent et a pour fonction d’“innocenter” le concept mythique. Il en découle que le lecteur du mythe ne s’aperçoit pas de ce que Barthes appelle l’“intention de la parole mythique.” Loin de représenter l’empire français et son colonialisme, la photo du soldat noir n’est, pour le destinataire, qu’une simple illustration anecdotique. Le mythe est donc un système sémiologique, un système de valeurs qui ne s’avoue pas comme tel: la forme neutre, vidée de son sens, reste toujours présente et donne au mythe l’apparence d’un simple “constat”.

 

Nous savons désormais que le mythe est une parole définie par son intention (…) beaucoup plus que par sa lettre (…); et que pourtant l’intention y est en quelque sorte figée, purifiée, éternisée, absentée par la lettre (L’Empire français? mais c’est tout simplement un fait: ce brave nègre qui salue comme un gars de chez nous). Cette ambiguïté constitutive de la parole mythique va avoir pour la signification deux conséquences: elle va se présenter à la fois comme une notification et comme un constat.[50]

 

A cela s’ajoute que la signification (la liaison entre la forme et le concept) n’est jamais complètement arbitraire comme c’est le cas du signe linguistique; elle est toujours en partie motivée par l’un ou l’autre lien d’analogie. Le mythe choisit une forme en fonction du concept qu’il veut faire passer. Ainsi, la photo est-elle appropriée parce qu’il existe un lien d’identité entre le salut du noir et celui du soldat français. La motivation permet au mythe de passer pour raisonnable. Grâce à elle, le concept mythique peut s’appuyer sur une forme innocente à la manière d’une déduction logique. Nous voilà au cœur même du mythe: s’appuyant sur un mécanisme ingénieux qui a la structure d’un alibi et qui repose sur un lien d’analogie entre forme et concept, la parole mythique transforme un sens contingent en fait naturel et raisonnable. Le mythe est un système sémiologique qui se veut empirique; il transforme la contingence en nécessité, l’Histoire en Nature:

 

En fait, ce qui permet au lecteur de consommer le mythe innocemment, c’est qu’il ne voit pas en lui un système sémiologique, mais un système inductif: là où il n’y a qu’une équivalence, il voit une sorte de procès causal: le signifiant et le signifié ont, à ses yeux, des rapports de nature. On peut exprimer cette confusion autrement: tout système sémiologique est un système de valeurs; or le consommateur du mythe prend la signification pour un système de faits: le mythe est lu comme un système factuel alors qu’il n’est qu’un système sémiologique.[51]

 

Cela étant, une question importante demeure irrésolue: comment le mythe est-il possible? Ou, en des termes plus concrets: qu’est-ce qui rend la signification de la photo du noir ambiguë ? La réponse à cette question exige que nous regardions de plus près le rôle du lecteur du mythe. Selon Barthes, le mythe fonctionne à la manière d’une interpellation; il sollicite activement son public. Contrairement à la forme sur laquelle il se greffe, le concept mythique n’est nullement abstrait; il est “à la fois historique et intentionnel”[52]. L’efficacité du mythe tient au fait qu’il s’adresse toujours à un public bien spécifique, qu’il s’insinue dans l’existence de ses consommateurs. Ainsi, la phrase latine quia ego nominor leo[53] devient-elle mythique dès qu’elle est lue par un élève de cinquième qui apprend le latin à l’école et qui la reconnaît de ses cours de grammaire. Cet élève décèlera non seulement le sens ordinaire de la phrase (‘car je m’appelle lion’) mais aussi sa signification qui est: ‘je suis un exemple de grammaire destiné à illustrer l’accord de l’attribut’:

 

(…) je suis un élève de cinquième dans un lycée français; j’ouvre ma grammaire latine, et j’y lis une phrase, empruntée à Esope ou à Phèdre: quia ego nominor leo. Je m’arrête et je réfléchis: il y a une ambiguïté dans cette proposition. D’une part, les mots y ont bien un sens simple: car je m’appelle lion. Et d’autre part, la phrase est là manifestement pour me signifier autre chose: dans la mesure où elle s’adresse à moi, élève de cinquième, elle me dit clairement: je suis un exemple de grammaire destiné à illustrer la règle d’accord de l’attribut.[54]

 

Pour que le mythe fonctionne, il doit s’adapter à l’existence de ses lecteurs, à leur horizon d’attente et à leurs habitudes. Le concept mythique véhicule une certaine connaissance du monde, un savoir total mais confus, “formé d’associations molles”.[55] Dans la mesure où ce savoir correspond à celui du public adressé, le mythe crée une relation de complicité qui garantit son efficacité. En fait, il ne fait que réactualiser un réseau d’associations déjà existant. Le mythe s’appuie sur le savoir acquis du lecteur et l’oblige à reconnaître (le terme est bien à sa place) dans une simple phrase latine un exemple de grammaire. Le savoir acquis, ou - pour user d’un terme barthésien- “le bon sens”[56], constitue donc la condition de possiblité de toute parole mythique. Qui plus est, cette condition de possibilité est toujours reproduite par les mythes eux-mêmes. En effet, la parole mythique confirme le “bon sens” sur lequel elle se greffe; elle fige la pensée en des stéréotypes.[57]

 

1.2. La société moderne selon le premier Barthes

 

Dans la seconde partie du texte, Barthes abandonne la perspective immanente. Il ajoute à l’analyse sémiologique un supplément socio-historique destiné à montrer comment le mythe répond aux intérêts de la classe bourgeoise.

Quoique, depuis la Révolution française, plusieurs groupes se soient succédé au pouvoir, la nature même de la classe dominante et de son régime est, selon Barthes, restée la même: la société moderne est contrôlée par la classe bourgeoise et cela aussi bien aux niveaux économique et politique qu’à celui de la culture. Or, l’hégémonie bourgeoise n’est “nommée”[58] qu’au niveau économique. Sur le plan politique, la bourgeoisie dissimule son pouvoir derrière l’idée de nation qui lui permet à la fois de “recueillir la caution numérique de ses alliés temporaires”[59] et d’accuser ses adversaires d’un manque de loyauté patriotique. Pourtant, malgré sa fréquence et l’usure sémantique qui en découle, le signifiant ‘nation’ conserve des traces sédimentaires de sa signification politique:

 

              (…) le substrat politique est là, tout proche, telle circonstance tout d’un coup le manifeste: il y a, à la Chambre, des partis ‘nationaux’, et le syncrétisme nominal affiche ici ce qu’il prétendait cacher: une disparité essentielle.[60]

 

Cela ne signifie pas que, dans le champ politique, le pouvoir de la bourgeoisie soit limité; seulement, la classe bourgeoise y est reconnue comme une classe particulière, ce qui fragilise sa position. Dans le domaine culturel, la situation est différente: le pouvoir de la bourgeoisie y est absolu et, de surcroît, invisible:

 

     (…) en société bourgeoise, il n’y a ni culture ni morale prolétarienne, il n’y a pas d’art prolétarien: idéologiquement, tout ce qui n’est pas bourgeois est obligé d’emprunter à la bourgeoisie. L’idéologie bourgeoise peut donc emplir tout et sans danger y perdre son nom: personne ici ne le lui renverra; elle peut sans résistance subsumer le théâtre, l’art, l’homme bourgeois sous leurs analogues éternels; en un mot, elle peut s’ex-nommer sans frein, quand il n’y a plus qu’une seule et même nature humaine: la défection du nom bourgeois est ici totale.[61]

 

Loin d’être occassionnelle, cette “défection du nom” concerne l’essence même de l’idéologie bourgeoise qui, afin d’assurer son “règne”[62], s’efforce à passer pour naturelle. L’anonymat de la bourgeoisie est d’autant plus grand que sa domination ne se limite pas à un petit groupe de producteurs actifs mais s’étend sur toute la société. A côté de la bourgeoisie au sens restreint, il existe “une culture bourgeoise de pure consommation”[63] qui reprend de façon passive la vision du monde imposée par la bourgeoisie. Selon Barthes celle-ci est comme une “image renversée”: tandis que la bourgeoisie constituait au dix-huitième siècle une classe révolutionnaire qui, s’inspirant de l’idée d’un monde perfectible, a basculé l’ordre des choses, elle propage actuellement un déterminisme historique, une vision du monde inerte.

 

Le statut de la bourgeoisie est particulier, historique: l’homme qu’elle représente sera universel, éternel; la classe bourgeoise a édifié justement son pouvoir sur des progrès techniques, scientifiques, sur une transformation illimitée de la nature: l’idéologie bourgeoise restituera une nature inaltérable; les premiers philosophes bourgeois pénétraient le monde de significations, soumettaient toute chose à une rationalité, les décrétant destinées à l’homme: l’idéologie bourgeoise sera scientiste ou intuitive, elle constatera le fait ou percevra la valeur, mais refusera l’explication: l’ordre du monde sera suffisant ou ineffable, il ne sera jamais signifiant. Enfin, l’idée première d’un monde perfectible, mobile, produira l’image renversée d’une humanité immuable, définie par une identité infiniment recommencée.[64]

 

Nous venons de voir que le mythe transforme l’histoire en nature, la contingence en nécessité. Sa démarche correspond donc parfaitement à celle de l’idéologie bourgeoise qui vise à immobiliser le monde afin de consolider son pouvoir. Selon Barthes, les mythes de la société bourgeoise moderne ne sont rien d’autre qu’une sollicitation incessante “qui veut que tous les hommes se reconnaissent dans cette image éternelle et pourtant datée qu’on a construite d’eux un jour comme si ce dût être pour tous les temps.”[65] En fait, les concepts de “mythe” et d’“idéologie” sont comme l’envers et l’endroit d’une même médaille.

 

1.3. Le lieu d’énonciation du mythologue

             

Avant de conclure la lecture du “Mythe, aujourd’hui”, il nous reste à élucider le statut de la mythologie en tant que savoir disciplinaire. “Le mythe, d’aujourd’hui” se présente comme le texte fondateur d’une science nouvelle appelée “mythologie.”[66] Le statut de celle-ci n’est pourtant pas très clair. Bien que Barthes affirme d’emblée que la mythologie relève entièrement de la sémiologie[67], il la présente, dans le reste de son essai, comme une discipline scientifique hybride qui fait partie “à la fois de la sémiologie comme science formelle et de l’idéologie comme science historique.”[68] Le statut de la mythologie à l’intérieur du champ scientifique est donc profondément ambivalent. De plus, en ce qui concerne le lieu d’énonciation, le discours mythologique repose, selon Barthes lui-même, sur une triple exclusion.

            La première exclusion concerne la position du mythologue vis-à-vis du social: au dire de Barthes, il se situe nécessairement en dehors de la société des consommateurs. Contrairement à son public, le mythologue ne saurait jamais se laisser séduire par le mythe, il doit se tenir à distance afin de pouvoir le déchiffrer. Puisque les mythes bourgeois s’adressent non seulement aux bourgeois stricto sensu mais aussi, à travers le mirage de l’Homme universel, à la collectivité entière, le mythologue doit transcender toute la communauté. Sa vocation critique présuppose et implique un isolement social total:

 

(…) le mythologue s’exclut de tous les consommateurs de mythe, et ce n’est pas rien. Passe encore pour un tel public particulier. Mais lorsque le mythe atteint la collectivité entière, si l’on veut libérer le mythe, c’est la communauté entière dont il faut s’éloigner.[69]

 

Quoique, pour Barthes, la solitude profonde du mythologue ne soit qu’un problème d’ordre sentimental, les implications théoriques en sont claires. Le mythologue s’accorde lui-même une position privilégiée en dehors ou au-dessus des différentes classes sociales, une position à partir de laquelle il peut, sans résistance aucune, s’en prendre à la société entière. L’isolement tragique du mythologue est en même temps un isolement splendide. Pourtant, rien ne justifie cette pose héroïque du sémiologue solitaire. La possibilité même du discours mythologique capable, en fait et en droit, d’objectiver et d’analyser des mythes locaux, contredit la théorie selon laquelle les normes esthétiques et morales de la communauté bourgeoise sont vécues comme les lois évidentes de toute la société. Or, comment le mythologue pourrait-il échapper aux lois qui, selon son propre dire, régissent la société entière? En plus, le mythologue se sépare non seulement de l’ensemble des consommateurs des mythes, il est aussi exilé de “l’histoire au nom de qui il prétend agir”[70]. Etant donné que “l’utopie lui est un luxe impossible”, sa critique se limite nécessairement à une pure négation du présent:

 

     Il lui est interdit d’imaginer ce que sera sensiblement le monde, lorsque l’objet immédiat de sa critique aura disparu; l’utopie lui est un luxe impossible: il doute fort que les vérités de demain soient l’envers exact des mensonges d’aujourd’hui. L’histoire n’assure jamais le triomphe pur et simple d’un contraire sur un contraire: elle dévoile en se faisant, des issues inimaginables, des synthèses imprévisibles. Le mythologue n’est même pas dans une situation moïséenne: il ne voit pas la Terre promise. Pour lui, la positivité de demain est entièrement cachée derrière la négativité d’aujourd’hui; toutes les valeurs de son entreprise lui sont données comme des actes de destruction.[71]

 

Par rapport à ce qui précède, le ton de l’essai change: c’est comme si le mythologue regrettait déjà ce qu’il vient pourtant d’assumer lucidement, à savoir, l’a-historicité de la théorie mythologique. Cet aveu nous met sur la piste d’une deuxième contradiction dont semble souffrir la théorie mythologique. Nous avons indiqué plus haut que le mythe refoule sa nature historique et se présente comme une réalité éternelle. A y regarder de plus près, le discours mythologique ne fait rien d’autre. En effet, afin de pouvoir s’énoncer de la manière dont elle s’énonce, la théorie mythologique doit mettre entre parenthèses sa propre historicité. La mythologie ne serait-elle qu’un mythe ?

Le mythologue est menacé d’une troisième et dernière exclusion: son langage étant construit à partir des “métalangages” mythiques, il s’éloigne de la réalité. La mythologie ne parle que du langage des mythes, elle n’atteint à aucun moment le réel “pré-sémiologique”[72] qu’elle veut protéger contre les mystifications idéologiques. Une fois de plus, cette exclusion est thématisée sur le mode d’un regret. [73] La façon dont Barthes aborde la problématique du réel indique que la science du mythe se croit objectivement fondée. Elle s’énonce au nom d’une certaine compréhension du monde dont elle souligne sans cesse la vérité. A partir de celle-ci, elle mesure le degré d’aliénation des discours qui l’environnent. A l’époque des Mythologies, Barthes est encore loin du post-structuralisme qui conçoit le langage comme un lieu sans extériorité. Le mythologue se sait dans le réel; il prétend avoir accès à la vérité (conçue sur le mode d’une correspondance avec les faits historiques) et se croit capable de dénoncer la fondamentale non-vérité des discours mythologiques. Bref, la mythologie reste prisonnière de la logique du vrai et du faux, logique que Barthes lui-même dénoncera plus tard comme étant idéologique. 

 

1.4. Conclusion

 

Malgré son aspiration à l’objectivité, le statut de la mythologie en tant que discipline scientifique s’avère des plus ambigus. En premier lieu, l’existence même du discours mythologique contredit les conceptions socio-historiques qui le sous-tendent. S’y ajoute que le mythologue ne fait que répéter le geste mythique par excellence: il tend lui aussi à s’abstraire de l’histoire. Enfin, la mythologie est sujette à caution pour la simple raison qu’elle ne parvient pas à soulever les problèmes épistémologiques auxquels se heurte tout discours qui s’énonce au nom d’une vérité préétablie.

            Il nous faudra maintenant montrer comment Barthes essaie, dans ses écrits sémiologiques ultérieurs, de remédier à ces problèmes. La métamorphose du projet de recherche initial en une pratique scientifique à part entière rendra marginale la problématique de la réinscription socio-historique du discours mythique dans l’ensemble de la société moderne et dans ses rapports avec l’idéologie bourgeoise: s’y substituera une stratégie d’analyse strictement structuraliste portant uniquement sur le mode de fonctionnement immanent de certains systèmes de communication de masse.

 

2. La sémiologie structurale

 

Après la publication de Mythologies, Barthes entame la rédaction de Système de la Mode, un de ses livres les plus ambitieux. Déjà achevé en 1963 [74], l’ouvrage ne verra le jour que quatre ans plus tard. Dans la préface, l’auteur présente son travail comme une aventure quelque peu datée, intéressante seulement du point de vue de “l’histoire de la sémiologie”[75]. D’entrée de jeu, Barthes prend ses distances vis-à-vis de son propre livre, ce qui explique peut-être aussi le peu d’intérêt de la part des critiques. Néanmoins, nous croyons que Système de la Mode mérite une lecture approfondie, non seulement parce que le livre témoigne de façon exemplaire du désir de totalisation scientifique si typique d’un certain Barthes, mais aussi parce que sa rencontre avec le système signifiant clos et rigide de la Mode est à la base de sa réflexion ultérieure sur la violence inhérente à toute structure de signification établie. Nous reviendrons plus tard sur les mécanismes idéologiques décrits dans Système de la Mode.[76] Pour le moment, nous nous en tenons à la théorie sémiologique qui sous-tend le livre.

 

2.1. Objectif et méthode

 

Au moment de la rédaction de Système de la Mode, Barthes donne libre cours à sa fascination pour la linguistique structurale. Après avoir fait la connaissance des travaux de BrØndal et de Saussure, il lit avec ravissement les œuvres d’André Martinet, de Louis Hjemslev[77] aussi et salue Lévi-Strauss[78], le premier, selon lui, a avoir saisi l’importance et l’utilité de la méthode structurale en dehors du champ proprement linguistique.

Dans la préface à Système de la Mode, l’auteur déclare qu’il tentera de “reconstituer pas à pas un système de sens, d’une façon en quelque sorte immédiate, c’est-à-dire en faisant appel le moins possible à des concepts extérieurs.”[79] Cette déclaration de principe marque un premier écart vis-à-vis de la théorie mythologique de jadis. Alors que l’analyse formelle d’antan nécessitait un complément socio-historique pour ancrer le mythe dans la société bourgeoise, Barthes opte, dès Système de la Mode, pour l’immanence la plus radicale; il reste à l’intérieur du système qu’il décrit et dont il tente de mettre à jour le fonctionnement. Il adopte résolument la perspective structuraliste dont la finalité consiste justement à “reconstituer un ‘objet’, de façon à manifester dans cette reconstitution les règles de fonctionnement de cet objet.”[80]

 

L’homme structural prend le réel, le décompose puis le recompose; c’est en apparence fort peu de chose (ce qui fait dire à certains que le travail structuraliste est ‘insignifiant, inintéressant, inutile etc.’). Pourtant, d’un autre point de vue, ce peu de chose est décisif; car entre les deux objets, ou les deux temps de l’activité structuraliste, il se produit du nouveau, et ce nouveau n’est rien moins que l’intelligible général: le simulacre, c’est l’intellect ajouté à l’objet (…)[81]

 

Selon Barthes, la sémiologie met à la disposition de l’analyste un “métalangage”[82] formel, susceptible d’“immobiliser”[83] un quelconque système signifiant à un moment donné de son histoire. Le métalangage a alors pour tâche de dépouiller l’objet de l’analyse de toute trace d’ambiguïté de sorte que rien n’échappe au regard du sémiologue. Ainsi permet-il, par exemple, de différencier les différents niveaux d’un système sémiologique complexe et de désigner de façon univoque les signifiés latents et globaux que le discours de la Mode transmet de façon confuse:

 

On a vu que le signifié de ce système était de contrôle incertain au niveau des usagers du système: latent, global, il ne peut être nommé d’une façon uniforme par ceux qui reçoivent le message connoté: il n’a pas d’existence terminologique assurée sinon au niveau de l’analyste, dont la fonction propre est précisément de superposer une nomenclature à des signifiés latents, qu’il est seul à pouvoir appeler au jour (…)[84]

 

Grâce au métalangage structural, l’analyste de la Mode en sait plus long que l’homme dans la rue. Tandis que ceux-ci consomment la publicité de façon passive, le sémiologue réussit à exhumer la structure profonde du discours de Mode, c’est-à-dire son fonctionnement immanent. Il semble donc que la reconstruction structuraliste du système de la Mode dévoile quelque chose qui restait invisible - ou inintelligible - avant la reconstitution: elle rend manifeste la vérité cachée du système.[85] Cela étant, comment mesurer l’adéquation de la reconstitution? Comment vérifier le travail sémiologique?

 

2.2. Vérité et validité

 

L’analyse sémiologique du système de la Mode ne saurait être vérifiée par la référence directe aux usagers “puisque cette masse ne lit pas le message, mais le reçoit.”[86] Faute de preuve, le sémiologue doit reconnaître que son analyse ne saura jamais être qualifiée de vraie; elle n’est que probable. Cela n’implique pourtant nullement que toutes les analyses soient également bonnes: la lecture sémiologique doit, selon Barthes, être soumise à un contrôle de cohérence ou de systématicité:

 

(…) les signifiés rhétoriques repérés concourent à former une vision générale du monde, qui est celle de la société humaine constituée par le journal et ses lectrices: il faut, d’une part, que le monde de la Mode soit entièrement saturé par tous les signifiés rhétoriques et, d’autre part, qu’à l’intérieur de cet ensemble, les signifiés soient tous liés entre eux fonctionnellement; autrement dit, si le signifié rhétorique, sous sa forme unitaire, ne peut être qu’une construction, il faut que cette construction soit cohérente.[87]

 

Si, à l’époque de Mythologies, la notion de vérité se définissait encore comme correspondance avec la réalité historique, elle est désormais abandonnée et cela au profit d’une nouvelle notion: “la validité formelle de l’analyse.”[88] Est “valable” toute analyse qui explique de façon cohérente le mode de fonctionnement interne du système sémiologique étudié. Ce qui, à son tour, relativise le statut même de la validité: contrairement au mythologue, qui visait encore à atteindre la vérité ultime des mythes et de leur fonctionnement dans la société, le sémiologue présente son travail comme une reconstruction rigoureuse et objective mais toujours transitoire. En termes barthésiens, cela revient à dire que le sémiologue “exprime sa mort future dans les termes mêmes où il a nommé et compris le monde.”[89]

 

Le rapport du système-objet et du métalangage de l’analyste n’implique donc aucune substance ‘vraie’, qui serait à porter tout entière au crédit de l’analyste, mais seulement une validité formelle; c’est un rapport à la fois éphémère et nécessaire, car le savoir humain ne peut participer au devenir du monde qu’à travers une série de métalangages successifs, dont chacun s’aliène dans l’instant qui le détermine. (…) un jour viendra inévitablement où l’analyse structurale passera au rang de langage-objet et sera saisie dans un système supérieur qui à son tour l’expliquera.[90]

 

La question du “métalangage” aboutit donc à une historicisation de la sémiologie. Selon Barthes, la “science des signes” fait partie intégrante d’un certain contexte historique et devra inévitablement céder la place à une théorie plus globale qui l’absorbera entièrement. La reconstitution métalinguistique proposée par la sémiologie structurale n’est donc pas vraie au sens classique du terme; elle est valable à une époque bien déterminée de l’histoire. L’on ne saurait pourtant dire que l’idée de vérité soit tout à fait absente de Système de la Mode. A notre avis, l’historicisation de la sémiologie n’affecte à aucun moment sa - prétendue - capacité de dire vrai. Avant que nous puissions démontrer cette hypothèse, nous devrons examiner la nature exacte de la notion de réel qui sous-tend le discours sur la Mode.

 

2.3. Le réel et le vrai

 

Ci-dessus, nous avons vu que la théorie mythologique n’est pas exempte d’un certain ontologisme. Le fait même que Barthes regrette de ne pouvoir ‘parler le monde’, trahit qu’il croit à l’existence d’un réel pré-sémiologique qui précède, en fait et en droit, tout acte langagier. Plusieurs indices portent à croire que cette même pensée ontologique soit présent dans les textes proprement sémiologiques. Voyons par exemple la façon dont Barthes aborde le problème de la “connotation” que, dans Eléments de sémiologie, il définit de la manière suivante:

 

On se rappelle que tout système de signification comporte un plan d’expression (E) et un plan de contenu (C) et que la signification coïncide avec la relation (R) des deux plans: E R C. On supposera maintenant qu’un tel système E R C devienne à son tour le simple élément d’un second système, qui lui sera de la sorte extensif; on aura ainsi affaire à deux systèmes de signification imbriqués l’un dans l’autre, mais aussi décrochés l’un par rapport à l’autre. Cependant le ‘décrochage’ des deux systèmes peut se faire de deux façons entièrement différentes, selon le point d’insertion du premier système dans le second, donnant ainsi lieu à deux ensembles opposés. Dans le premier cas, le premier système (E R C) devient le plan d’expression ou signifiant du second système:

 

                     2                         E                        R                      C

                                   1                      ERC

        

ou encore: (ERC) R C. C’est le cas de ce que Hjemslev appelle la sémiotique connotative; le premier système constitue alors le plan de dénotation et le second système (extensif au premier) le plan de connotation. On dira donc qu’un système connoté est un système dont le plan d’expression est constitué lui-même par un système de signification (…)[91]

 

A propos de ce passage, deux remarques s’imposent. Primo, le fait même que le sémiologue parle d’un “plan de contenu” et d’un “plan d’expression” signale qu’il croit encore au primat du signifié. C’est comme si le signifiant ne faisait qu’exprimer un signifié (un contenu) qui lui préexiste. A l’époque des Eléments de sémiologie, Barthes conçoit le langage comme un système de signes arbitraires susceptible de nommer la réalité extra-langagière qui précède. Il est donc encore loin d’épouser l’idée selon laquelle le langage constitue le monde humain. Secundo, la définition de la “connotation” comme décrochage d’un système sémiologique premier laisse entrevoir que la sémiologie barthésienne présuppose l’idée d’un langage neutre, purement dénotatif, ancré dans le réel.

            Comme la mythologie, la sémiologie barthésienne se croit objectivement fondée. Pourtant, tandis que le mythologue prétend avoir accès à la vérité universelle des mythes et il tend à s’abstraire de l’histoire, le sémiologue, de sa part, réduit le champ de sa véridiction. La vérité de la sémiologie est une vérité momentanée, valable seulement au moment même de l’analyse et pour l’objet analysé. Comme l’a indiqué Steffen Nordahl Lund[92], cette historicisation n’affecte nullement la pureté du métalangage, instrument neutre, susceptible de déchiffrer objectivement tout système signifiant. Ce qui est visé dans Système de la Mode, n’est point l’objectivité du métalangage - sa capacité de dire vrai - , mais son universalité intemporelle. Pour Barthes, les limites du langage coïncident avec les limites de l’histoire: le métalangage de la sémiologie accède à la vérité - au réel - de son objet; au fur et à mesure que la science se développe, un nouveau métalangage s’imposera, capable d’expliquer le langage de la sémiologie. Dans les termes de Lund, cela revient à dire que:

 

Soumis à la relativité de l’histoire, le caractère dénoté, innocent et, en dernière instance, vrai, du discours scientifique n’est pas pour autant affecté, mais ressuscite inlassablement avec le nouveau langage après la chute historique du précédent.[93]

           

2.4.  Conclusion

 

Que penser de la sémiologie barthésienne? Quel est son statut scientifique? A première vue, il semble que Barthes réussit à surmonter les contradictions dont souffrait la théorie des mythes. Système de la Mode peut, en effet, être lu comme une tentative de remédier aux défauts méthodologiques inhérents au projet mythologique initial. A la discipline hybride qu’était la mythologie succède une sémiologie scientifique qui, à l’instar de la linguistique structurale, abandonne la notion problématique d’Histoire et cela au profit d’une approche rigoureusement synchronique: la sémiologie barthésienne se concentre uniquement sur le fonctionnement immanent des systèmes de sens et évite par là les problèmes théoriques soulevées par la réinscription socio-historique des mythes dans la société bourgeoise. Le passage de la réinscription à l’immanence va de pair avec une réévaluation de la notion de vérité: celle-ci n’est plus conçue sur le mode d’une correspondance mais sur le mode d’une construction. De plus, dans les dernières pages du livre, Barthes insiste sur le caractère transitoire de toute construction sémiologique. La vérité de la sémiologie ne prétend pas à l’universalité intemporelle mais participe au jeu de l’histoire.[94] Le discours sémiologique est le produit d’une époque historique bien spécifique et, un jour, il sera relayé par un nouveau métalangage qui l’expliquera à son tour. L’historicisation de la sémiologie n’implique pas pour autant que, dans Système de la Mode, Barthes ait entièrement renoncé à la quête de la vérité. Le sémiologue a beau insister sur le caractère momentané de la vérité qu’il énonce, il prétend toujours à l’objectivité scientifique. Indépendamment de sa nature éphémère, le discours sémiologique se comprend comme un discours neutre, purement dénotatif et véridictoire.

 

 

3. La science mise en question

 

Vers la fin des années 60, Barthes découvre les travaux de Kristeva et de Derrida qui mettent en question les présuppositions et les ambitions théoriques de la sémiologie structurale. Manifestement influencé par leur critique, Barthes s’éloigne peu à peu de la science des signes et cela au profit d’un nouveau champ d’investigation, centré cette fois-ci autour de la notion d’“écriture”. Tel est du moins l’explication que proposent plusieurs critiques[95] pour rendre compte de la “rupture” barthésienne avec la sémiologie traditionnelle. Quoique juste en partie, cette ‘explication’ est, à notre avis, sujette à caution. C’est comme si, du jour au lendemain (après avoir lu les premiers textes kristéviens et derridiens), Barthes s’est converti du structuralisme au post-structuralisme. Une telle interprétation de l’évolution barthésienne sous-estime, à notre avis, la profonde ambivalence de certains textes dits sémiologiques. Certes, le dernier Barthes doit beaucoup à Kristeva et à Derrida (et à tant d’autres théoriciens), mais s’il a su apprécier, si vite, la justesse et la portée de leur critique, c’est parce qu’il se méfiait lui-même des prétentions de la sémiologie structuraliste au moment même où il la pratiquait. Dans ce qui suit, nous regarderons de plus près un petit essai de 1964, intitulé “Les planches de l’Encyclopédie”[96]  qui est très révélateur à ce propos: il illustre bien l’ambiguïté de l’attitude barthésienne vis-à-vis de la sémiologie structurale.

 

3.1. La sémiologie et la science encyclopédique

 

De prime abord, “Les planches de l’Encyclopédie” se présente comme une simple application des méthodes de lecture développées dans le contexte de la sémiologie structurale. Barthes conçoit les images encyclopédiques comme autant de structures d’information reproduisant les deux dimensions du langage, à savoir l’axe paradigmatique (ou de substitution) et l’axe syntagmatique (ou de contiguïté):

 

              Cette structure, quoique iconographique, s’articule dans la plupart des cas comme le vrai langage (celui que nous appelons précisément articulé), dont elle reproduit les deux dimensions, bien mises au jour par la linguistique structurale; on sait en effet que tout discours comporte des unités signifiantes et que ces unités s’ordonnent selon deux axes, l’un de substitution (ou paradigmatique), l’autre de contiguïté (ou syntagmatique); chaque unité peut ainsi varier (virtuellement) avec ses parentes, et s’enchaîner (réellement) avec ses voisines. C’est ce qui ce passe, grosso modo, dans une planche de l’Encyclopédie.[97]

 

Le regard du sémiologue transforme les images de l’Encyclopédie en “rébus” dont le déchiffrement passe par le décodage des différentes “unités informatives”.[98] La lecture barthésienne aboutit à la reconstruction de la conception du monde des Lumières et vise, en outre, à identifier les mécanismes idéologiques derrière les apparences innocentes des planches encyclopédiques.[99] Jusqu’ici, l’article ne s’écarte en rien de l’analyse sémiologique de la Mode écrite. En effet, comme dans Système de la Mode, nous avons affaire à une simple application de la méthode de lecture structuraliste à un système signifiant particulier. Pourtant, la continuité entre les deux moments de lecture n’est qu’apparente. L’essai de 1964 repose sur une ambivalence profonde. Au fur et à mesure que s’articule la lecture, le sémiologue reconnaît, dans l’organisation des images qu’il déchiffre, les principes mêmes de la sémiologie structurale. A la manière d’un miroir, les planches reflètent à l’analyste sa propre méthode. Il en résulte que la réflexion barthésienne sur la philosophie scientiste du dix-huitième siècle peut en même temps être lue comme une sorte d’autocritique - implicite mais sévère. Afin de bien cerner l’enjeu de cette critique, il nous faudra d’abord reconstituer l’image que Barthes nous offre du siècle des Lumières.

            Selon l’expression de Barthes le monde de l’Encyclopédie est un “monde sans peur”[100], dominé par la raison humaine et l’esprit du progrès. L’homme éclairé est fasciné par le pouvoir illimité de la raison humaine et par sa capacité de transformer le monde.[101] Cette fascination est illustrée de façon exemplaire par les planches encyclopédiques qui peuvent être lues comme des véritables “épopées de la matière.” Transformée et sublimée par l’homme, la matière première de la production aboutit, à travers toute une série de péripéties, à un artefact docile et malléable. Mais il y a plus: l’“épopée de la matière” est en même temps une “épopée de l’esprit”. Les planches se prêtent à une double interprétation: de bas en haut, on suit les aventures de l’objet - sa fabrication -; de haut en bas, par contre, on reproduit le trajet de la raison analytique:

 

              (…) si vous lisez la planche de bas en haut vous obtenez en quelque sorte une lecture vécue, vous revivez le trajet épique de l’objet, son épanouissement dans le monde complexe des consommateurs; vous allez de la nature à la socialité; mais si vous lisez l’image de haut en bas, en partant de la vignette, c’est le cheminement de l’esprit analytique que vous reproduisez; le monde vous donne de l’usuel, de l’évident (c’est la scène); avec l’encyclopédiste, vous descendez progressivement aux causes, aux matières, aux éléments premiers, vous allez du vécu au causal, vous intellectualisez l’objet. [102]

 

Loin d’être désintéressée, la rationalité du dix-huitième siècle est régie par un désir d’appropriation qui se manifeste de deux manières différentes. Les planches synthétiques, appelées “vignettes”, expriment invariablement l’idée d’une humanité triomphante. Chaque paysage, chaque tableau est, en effet, “signé”[103] par l’homme; partout il se manifeste comme le véritable souverain du monde.

 

(…) l’homme encyclopédique mine la nature entière de signes humains; dans le paysage encyclopédique, on n’est jamais seul; au plus fort des éléments, il y a toujours un produit fraternel de l’homme: l’objet est la signature humaine du monde.[104]

 

Ou encore:

 

L’objet encyclopédique est au contraire assujetti (on pourrait dire qu’il est précisément pur objet, au sens étymologique du terme), pour une raison très simple et constante: c’est qu’il est à chaque fois signé par l’homme; l’image est la voie privilégiée de cette présence humaine, car elle permet de disposer discrètement à l’horizon de l’objet un homme permanent; les planches de l’Encyclopédie sont toujours peuplées (…); vous pouvez  imaginer l’objet naturellement le plus solitaire, le plus sauvage; soyez sûr que l’homme sera tout de même dans un coin de l’image; il regardera l’objet, ou le mesurera ou le surveillera (…)[105]

 

En outre, dans les planches analytiques, le désir d’appropriation se trahit par un morcellement extrême des objets et des machines. L’homme encyclopédique est hanté par le secret, partout il veut insinuer son regard.[106] Il  veut non seulement assujettir la nature, mais aussi contrôler les objets qui lui permettent cet assujetissement:

 

Formellement (ceci est bien sensible dans les planches), la propriété dépend essentiellement d’un certain morcellement des choses: s’approprier, c’est fragmenter le monde, le diviser en objets finis, assujettis à l’homme à proportion même de leur discontinu: car on ne peut séparer sans finalement nommer et classer, et dès lors, la propriété est née.[107]

 

Selon Barthes, le regard encyclopédique pétrifie. Cela s’observe bien dans les planches qui traitent des métiers artisanaux de l’époque. Le regard de l’encyclopédiste immobilise les actions représentées afin d’en dévoiler, de manière presque microscopique, tous leurs aspects et, surtout, afin de leur donner un sens bien défini. Les mouvements désordonnés de l’artisan se voient transformés en une série de gestes d’autant plus emphatiques et clairs qu’ils sont statiques:

 

Autre catégorie exemplaire du poétique (à côté du monstrueux): une certaine immobilité. On vante toujours le mouvement d’un dessin. Cependant, par un paradoxe inévitable, l’image du mouvement ne peut être qu’arrêtée; pour se signifier lui-même, le mouvement doit s’immobiliser au point extrême de sa course; c’est ce repos inouï, intenable, que Baudelaire appelait la vérité emphatique du geste et que l’on retrouve dans la peinture démonstrative, celle de Gros par exemple; à ce geste suspendu, sur-signifiant, on pourrait donner le nom de numen, car c’est bien le geste d’un dieu qui crée silencieusement le destin de l’homme, c’est-à-dire le sens.[108]

 

Avide d’explications, l’homme éclairé morcelle les objets, immobilise et décompose l’action en des prises de vue isolées et statiques. Au dire de Barthes, les planches de l’Encyclopédie illustrent bien la conscience du siècle. Pourtant, au moment même où l’iconografie encyclopédique se propose pour but de glorifier la raison humaine, elle en affiche également son “risque”.[109] Les planches analytiques témoignent, en effet, d’une certaine inquiétude vis-à-vis de l’expansion démesurée de la raison. Elles dénoncent involontairement tant le caractère violent de la science que son incapacité d’expliquer quoi que ce soit. Elles montrent comment la raison humaine, “creuse” la réalité: “l’ordre paisible du monde est ébranlé au profit d’une certaine violence.”[110] Pourtant, la science ne rejoint jamais l’état fondamental des choses: elle “ne peut que doubler le monde expliqué d’un nouveau monde à expliquer”[111]. En voulant atteindre la Nature, la science débouche sur une “surnature”[112] et, paradoxalement, le contact avec la réalité humaine se perd en cours de route.

Un anthropocentrisme démesuré, un essentialisme violent et un désir d’appropriation d’autant plus fort qu’il reste caché derrière les apparences innocentes de l’inventaire, voilà les caractéristiques principales de la science du dix-huitième siècle. Mais ne s’appliquent-elles pas tout aussi bien à la sémiologie structuraliste? Bien que le texte de Barthes ne contienne aucune critique explicite de la sémiologie, il suggère, de par sa composition même, que les traits spécifiques de la science des Lumières s’appliquent tout aussi bien au structuralisme (voire même, comme le pense Barthes lui-même, à toute “la rationalité humaine”[113]). Il existe, en effet, un rapport très net entre la façon dont l’homme des Lumières analyse les objets et les métiers de son époque, d’une part et la sémiologie structurale, de l’autre. [114] Comme le sémiologue, l’encyclopédiste du dix-huitième siècle commence par isoler l’objet qu’il entend analyser de son contexte naturel. Ensuite, il le morcelle, le divise en ses parties constituantes qui, dans un troisième temps, sont nommées et classées par genre. Et, tout comme le structuraliste, l’homme des Lumières tente à réagencer les différentes composantes dans le but d’aboutir à un “simulacre intelligible de l’objet original (cf. supra). Est-ce que cette affinité fait de la sémiologie le dernier avatar du désir d’appropriation typique de l’homme occidental? Peut-être. Qu’en est-il du regard du sémiologue? Est-il lui-aussi pétrifiant? Malheureusement, l’essai reste assez vague à ce propos.[115] Toutefois, il est certain que, dans “Les planches de l’Encyclopédie”, l’attitude de Barthes vis-à-vis de la sémiologie structuraliste s’avère des plus ambiguës. Certes, en 1964, il est encore loin de rompre avec le structuralisme mais le scepticisme à son égard nous semble réel.

 

3.2. De la sémiologie à la sémioclastie

 

Malgré ses réserves, ce n’est que vers la fin des années 60 - au moment de sa lecture de Kristeva et de Derrida - que Barthes tournera définitivement le dos à la sémiologie. Substituant la “sémioclastie” à la sémiologie, il élargit sa perspective analytique. Au lieu de s’attaquer à l’idéologie dans ses manifestations concrètes, le dernier Barthes vise plutôt les régimes de sens qui supportent celles-ci. L’analyse et la démystification de tel ou tel système signifiant particulier deviennent secondaires par rapport au “renversement” de l’ordre symbolique en tant que tel par une pratique subversive centrée autour des notions d’“écriture et de “Texte”:

 

(…) ce ne sont plus les mythes qu’il faut démasquer (l’en”Doxa” s’en charge), c’est le signe lui-même qu’il faut ébranler: non pas révéler le sens (latent) d’un énoncé, d’un trait, d’un récit, mais fissurer la représentation même du sens, non pas changer ou purifier les symboles, mais contester le symbolique lui-même.(…) à la ‘mythoclastie’ succède, beaucoup plus large et portée à un autre niveau, une ‘sémioclastie’. Le champ historique s’est par là même étendu: ce n’est plus la (petite) société française; c’est, bien au-delà, historiquement et géographiquement, toute la civilisation occidentale (gréco-judéo-islamo-chrétienne) unifiée sous une même théologie (l’essence, le monothéisme) et identifiée par le régime de sens qu’elle pratique, de Platon à France-Dimanche.[116]

 

A en croire Barthes, la rationalité occidentale soumet la production de sens à la recherche d’un signifié ultime (Dieu, l’Essence, la Raison, le Sens commun, la Vérité, la Nature humaine etc.). Elle cherche un fondement sûr capable de maîtriser le libre jeu des signifiants producteurs de sens. Ce régime de sens est, pour ainsi dire, voué à nier sa gratuité, son caractère ludique, proprement créateur. Bref, la rationalité occidentale est de part en part dogmatique: elle tente à se fonder en une vérité indubitable, antérieure à toute création. Il va de soi que, dans une telle optique, l’idée même de science (soumise à la quête de la Vérité) devient suspecte. Par conséquent, Barthes cherchera, à partir de la fin des années 60, un nouveau medium critique, capable de combattre l’idéologie sous toutes ses formes, sans tomber dans les dogmes autoritaires de l’origine et de la vérité. Ce médium sera, pour Barthes, l’“écriture”.

 

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[35] Le terme “centre” est à comprendre ici au sens que lui donne Maurice Blanchot dans L’espace littéraire où il déclare: “Un livre, même fragmentaire a un centre qui l’attire. Centre non pas fixe, mais qui se déplace par la pression du livre et les circonstances de sa composition. Centre fixe aussi, s’il est véritable, en restant le même et en devenant toujours plus central, plus dérobé, plus incertain et plus impérieux.”; M. Blanchot, L’espace littéraire, Gallimard, Paris, 1955, p. 9.

[36] Mythologies, OC I, p. 565.

[37] Cf. infra.

[38] “Les petites mythologies du mois” était le titre de la rubrique sous laquelle Barthes publiait ses articles dans Les lettres nouvelles.

[39] “Le mythe, aujourd’hui”, dans Mythologies, OC I, pp. 683-719.

[40] Pour plus de renseignements à ce sujet voir P. Roger, Roland Barthes, roman, Paris, Le livre de poche, coll. “Biblio essais”, 1986, pp. 87-101. A juste titre, Roger souligne la discrépance qui existe entre le dire de la postface et le faire des études concrètes. Pourtant, vers la fin de son analyse, il tend à minimaliser l’importance de la théorie mythologique esquissée dans la postface. Au dire de Roger, le traité théorique n’a pour seule fonction de “protéger un élan d’écriture, une démarche d’écrivain”. (P. Roger, op. cit., p. 92; nous soulignons.) Il tombe ainsi dans le piège qu’il a lui-même analysé et qui consiste à interpréter le premier Barthes en fonction du dernier. (Cf. Introduction et P. Roger, op. cit., p. 70-72) Quoiqu’il en soit, Mythologies reste un texte ambigu qui témoigne de la duplicité d’esprit typique de Barthes: la théorie et l’écriture s’y côtoient.

[41] “Le mythe, aujourd’hui”, dans Mythologies, OC I, p. 704.

[42] Ibidem, p. 683.

[43] Ibidem, p. 687; Barthes souligne.

[44] Ibidem, p. 689.

[45] Ibidem, p. 689.

[46] Ibidem, p. 689.

[47] Ibidem, p. 689.

[48] Ibidem, p. 693.

[49] Ibidem, p. 693.

[50] Ibidem, p. 694; Barthes souligne.

[51] Ibidem, p. 699; nous soulignons.

[52] Ibidem, p. 690.

[53] L’exemple est de Barthes, cf. Ibidem, p. 688 et passim.

[54] Ibidem, p. 688; nous soulignons.

[55] Ibidem, p. 690.

[56] Plus tard, Barthes parlera de “Doxa”, terme par lequel il entend l’ensemble des habitudes et des idées devenues ‘naturelles’ à force de répétition.

[57] Encore marginales dans “Le mythe, aujourd’hui”, les notions de “bon sens” de “Doxa” et de “stéréotype” deviendront, dans les textes ultérieurs, de plus en plus importantes. Nous y reviendrons: cf. infra.

[58] Mythologies, OC I, p. 704.

[59] Ibidem, p. 704.

[60] Ibidem, p. 704.

[61] Ibidem, p. 705.

[62] Le mot “règne” a dans le vocabulaire de Barthes, une acception particulière. Contrairement à la triomphe, le règne est une domination qui ne s’affiche pas, mais qui passe pour naturelle. (Roland Barthes par lui-même, OC III, p. 212)

[63] Ibidem, p. 705.

[64] Ibidem, p. 707.

[65] Ibidem, p. 716.

[66] En effet, Barthes insiste à plusieurs reprises  sur l’objectivité de son analyse. Il semble vouloir fonder en science l’analyse des mythes qu’il pratiquait depuis deux années.

[67] Ainsi Barthes déclare-t-il par exemple “le mythe relève d’une science générale extensive à la linguistique, et qui est la sémiologie”; “Le mythe aujourd’hui”, OC I, p. 684.

[68] Ibidem, p. 685; nous soulignons.

[69] Ibidem, p. 717.

[70] Ibidem, p. 718.

[71] Ibidem, p. 718.

[72] La notion de “réel pré-sémiologique” réapparaît à plusieurs reprises dans “Le mythe, aujourd’hui”. Elle sous-tend, par exemple, la réflexion barthésienne au sujet de la poésie: “J’entends par poésie, d’une façon très générale, la recherche du sens inaliénable des choses.” Ou encore: “Alors que le mythe vise à une ultra-signification, à l’amplification d’un système premier, la poésie, au contraire, tente de retrouver une infrasignification, un état pré-sémiologique du langage; bref, elle s’efforce de retransformer le signe en sens: son idéal - tendanciel - serait d’atteindre non au sens des mots, mais au sens des choses même. (Cf. Ibidem, p. 719 et 701). Comme l’indique Barthes lui-même dans une note en bas de page, la notion de “sens” comme qualité naturelle des choses est empruntée à Sartre (Cf. J-P. Sartre, Saint Genet, comédien et martyr, Paris, Gallimard, 1952, p. 283)

[73] Cf. par exemple “Le mythe, aujourd’hui”, dans Mythologies, OC I, p. 718: “Le mécano, l’ingénieur, l’usager même parlent l’objet; le mythologue, lui, est condamné au métalangage.”

[74] Système de la Mode, OC II, p. 131.

[75] Ibidem, p. 131.

[76] Bien que Barthes reste fidèle à l’intuition de base de Mythologies, (l’idéologie est toujours conçue comme un système arbitraire de sens qui refuse de se manifester comme tel) ses analyses des différents mécanismes idéologiques sont à la fois plus nuancées et plus précises.  Ainsi distingue-t-il, par exemple, entre la “naturalisation” et la “rationalisation” du sens. (Cfr. Système de la Mode, OC II, pp. 346-354.)

[77] Pour plus de renseignements au sujet des lectures de Barthes en matière de linguistique voir les passages concernés dans la biographie de Louis-Jean Calvet. (L.-J., Calvet, Roland Barthes, Paris, Flammarion, 1990, pp. 101-104, 124, 132, 157 et 165-166.)

[78] Voir surtout l’article “Les sciences humaines et l’œuvre de Lévi-Strauss” de 1964, OC I, pp. 1415-1416.

[79] Système de la Mode, OC II, p. 131-2; nous soulignons. Cette déclaration de principe est reprise dans le reste du livre sous forme de rappel. Ainsi par exemple à la page 268: “Ce ne peut être le lieu ici où l’on procède à une description purement immanente d’un système particulier, de discuter la théorie générale du binarisme.”; nous soulignons.

[80] “L’activité structuraliste”, dans Essais Critiques, OC I, p. 1329.

[81] Ibidem, p. 1329.

[82] Le concept de “métalangage” se définit de la façon suivante: “(…) un métalangage est un système dont le plan du contenu est constitué lui-même par un système de signifiactions; ou encore, c’est une sémiotique qui traite d’une sémiotique.”, Eléments de sémiologie, OC I, pp. 1517-1518.

[83] Le terme est de Barthes, Système de la Mode, OC II, p. 369.

[84] Système de la Mode, OC II, p. 369; nous soulignons.

[85] En effet, tout porte à croire qu’en 1963, Barthes conçoit le structuralisme comme une activité révélatrice. Ainsi déclare-t-il par exemple: “La structure est donc en fait un simulacre de l’objet, mais un simulacre dirigé, intéressé, puisque l’objet imité fait apparaître quelque chose qui restait invisible, ou si l’on préfère, inintelligible dans l’objet naturel.”, “L’activité structuraliste”, OC I, p. 1329; nous soulignons.

[86] Système de la Mode, OC II, p. 323. Comme le mythe, la mode écrite cache sa nature sémiologique; elle se présente comme un système de faits et n’est donc pas lue mais reçue.

[87] Afin de légitimer ce dernier type de contrôle, Barthes invoque les théories psychanalytique et marxiste qui doivent, selon lui, “une part décisive de leur ‘probabilité’ à leur cohérence systématique.” Cfr. Système de la Mode, OC II, p. 323-324.

[88] Ibidem, p. 370. Barthes reprendra cette opposition entre la “validité” scientifique et la “vérité” historique dans Roland Barthes par lui-même.

[89] Ibidem, p. 370.

[90] Ibidem, p. 370; nous soulignons.

[91] Eléments de sémiologie, OC I, p. 1517.

[92] S. N., Lund, L’aventure du signifiant. Une lecture de Barthes, Paris, Presses Universitaires de France, 1981, pp. 43-46.

[93] Ibidem, p. 46.

[94] Système de la Mode, OC II, p. 369.

[95] Voir surtout S.N. Lund, L’aventure su signifiant. Une lecture de Barthes, Paris, Presses Universitaires de France, coll. “Croisées”, 1981, pp. 53-82; et F. Dosse, Histoire du structuralisme II: le chant du cygne, 1967 à nos jours, Paris, Le livre de Poche, coll. “Biblio Essais”, 1992, pp. 71-84.

[96] L’article en question parut dans L’univers de l’Encyclopédie, 130 planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (Paris, Libraires associés, 1964) sous le titre “Image, raison, déraison”. Il a été repris par après dans Nouveaux Essais Critiques, OC II, p. 1348-1358.

[97] “Les planches de l’Encyclopédie”, OC II, p. 1352; Barthes souligne. A son avis, la partie inférieure de chaque planche montre l’objet de la démonstration (l’outil ou le geste) dans son essence. C’est là que l’on retrouve le paradigme, c’est-à-dire l’ensemble des unités significatives. Dans la partie supérieure, appelée vignette, le même objet est saisi dans une scène vivante où il est enchaîné à d’autres objets. La vignette représente donc l’axe syntagmatique du langage.

[98] Ibidem, p. 1353; Barthes souligne.

[99] Les mécanismes idéologiques que Barthes décèle dans les planches sont ceux qui opéraient déjà dans le système de la Mode, à savoir la “naturalisation” et la “rationalisation.”

[100] Ibidem, p. 1351.

[101] Barthes signale dans ce contexte l’omniprésence des mains, véritable symbole de la toute-puissance humaine; cf. Ibidem, pp. 1351-1352.

[102] Ibidem, p. 1355.

[103] Ibidem, p. 1351.

[104] Ibidem, p. 1349.

[105] Ibidem, p. 1351.

[106] La description barthésienne des planches analytiques n’est pas sans rappeler les passages de Naissance de la clinique (paru un an plus tôt) que Michel Foucault consacre à l’analyse du regard médical. (Cf. M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, Presses Universitaires de France, 1963, pp. 107-176.)

[107] “Les planches de l’Encyclopédie”, dans Nouveaux Essais Critiques, OC II, p. 1350.

[108] Ibidem, p. 1356-1357; Barthes souligne.

[109] “Les planches de l’Encyclopédie”, dans Nouveaux Essais Critiques, OC II, p. 1357.

[110] Ibidem, pp. 1357-1358; Barthes souligne.

[111] Ibidem, p. 1358.

[112] Ibidem, p. 1358.

[113] Ibidem, p. 1357.

[114] Cette affinité entre les deux méthodes explique la grande lisibilité des planches encyclopédiques. C’est comme si elles attendaient en quelque sorte la sémiologie.

[115] Il semble pourtant que l’essai de Barthes - et plus en particulier les passages consacrés à l’immobilisme des images encyclopédiques  - fait écho à un essai de Derrida publié en 1963 dans Critique et qui s’intitule “Force et signification”. (Cf. “Force et signification”, dans L’écriture et la différence, Paris, Eds. du Seuil, coll. Points, 1967, pp. 9-49.) Dans cet essai, Derrida s’en prend aux principes de lecture structuralistes. Selon lui, le structuralisme n’est pas capable de penser la “durée”, la “force”, le “souffle” (Ibidem, p. 36) de l’œuvre littéraire, c’est-à-dire la dynamique (le renvoi de signifiant en signifiant) qui fait d’un texte une production de sens. Le regard du structuraliste est un regard “panographique”(Ibidem, p. 31), un regard qui s’efforce à rendre l’œuvre simultanément visible en toutes ses parties. Ainsi, le structuralisme réduit-il le mouvement du texte à une structure morte: il pétrifie l’éternelle production de sens et la transforme en produit comme il transforme la structuration en structure

[116] “La mythologie, aujourd’hui”, OC II, p. 1184.