Introduction

Les fleuves ont toujours exercé dans l’inconscient collectif un fort pouvoir d’attraction. Eléments liquides, mobiles, dans un paysage statique, ils véhiculent l’image même du dynamisme de l’existence. D’autant que pratiquement, ils ont de tous temps joué une part active dans les échanges humains. L’Escaut, au cours pourtant modeste, n’échappe pas à la règle. Très tôt, les hommes ont colonisé ses rives, pour satisfaire leurs besoins naturels en eau, pour la pêche, mais également car ils avaient là à disposition immédiate une voie de communication, donc d’échanges et de commerce. Tout naturellement, de nombreuses agglomérations ont essaimé le long du cours d’eau.

La présence du fleuve a été un atout certain pour les implantations situées à proximité. Du moins l’essor urbain est-il attesté pour la période gallo-romaine et après le 11^e siècle. Entre les deux, les témoignages historiques et archéologiques se font plus rares; la phase précédant la maturation des villes médiévales est donc en grande partie méconnue.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. L’histoire urbaine et l’histoire économique sont certainement deux des domaines d’étude les plus prisés qui soient, et ce depuis la fin du 19^e siècle. Depuis H. Pirenne en effet, les historiens n’ont eu de cesse de tenter de déterminer la nature des villes et l’importance des courants d’échanges durant la période carolingienne, en se fondant sur les quelques témoignages écrits conservés. On dispose donc sur le sujet d’une bibliographie abondante, et la problématique est assez régulièrement revisitée, comme en témoignent le colloque «La genèse et les premiers siècles des villes médiévales dans les Pays-Bas Méridionaux» tenu à Spa en 1988[1], les nombreuses monographies de villes existantes[2] ou encore le nombre d’études plus générales, relatives au commerce et à l’activité économique entre Loire et Rhin du 8^e au 10^e siècles[3].

Notre propos est cependant tout autre. Une relecture des textes peut toujours permettre de nuancer les théories, d’affiner les constats mais, fondamentalement, le matériel d’étude reste toujours le même. Pour renouveler la problématique, à côté de l’approche historique «classique», il importe d’intégrer de manière systématique les découvertes issues de l’archéologie. Depuis la seconde guerre mondiale, en effet, se sont multipliés les chantiers de fouilles à l’intérieur du tissu urbain. Depuis une vingtaine d’années, les recherches se sont accélérées, les méthodes perfectionnées et les problématiques ont été régulièrement redéfinies; aujourd’hui, les archéologues s’intéressent tout autant à l’éventuel passé romain des villes qu’à leur développement au haut Moyen Age. Malgré la pauvreté de données qui caractérise cette dernière période, on dispose à ce jour suffisamment de matériel archéologique pour tenter une approche comparative, entre d’une part les informations «classiques» fournies par les textes, et d’autre part celles provenant des archives du sous-sol.

Bien entendu, ce point de vue a déjà été abordé par de nombreux auteurs et les découvertes archéologiques suscitent de temps à autres une publication de synthèse sur telle ou telle ville. Néanmoins, ces études apparaissent rapidement dépassées et, surtout, personne n’a entrepris de répertorier de manière systématique toutes les découvertes archéologiques réalisées le long de l’Escaut et relatives à la période carolingienne. Cet inventaire fait toujours défaut, et dès lors l’analyse croisée des résultats qui pourraient en découler également; nous tenterons ici de remédier à cette lacune. Au final, ce long et méthodique travail heuristique devrait permettre de déboucher sur une vision globale de l’occupation du territoire et de la dynamique urbaine le long de l’Escaut, entre le 9^e et le 11^e siècles.

D’emblée, il faut définir l’étendue de l’enquête archéologique. Les critères utilisés sont de natures diverses: géographique, historique et hydrographique. Géographique tout d’abord car, on l’a dit, l’étude est confinée à la vallée de l’Escaut et ses principaux affluents. Ce parti pris exclut d’office des agglomérations situées non loin du fleuve, mais pas directement sur celui-ci. L’Escaut et les implantations attenantes sont donc considérés - peut-être à tort - comme une entité en soi, distincte du territoire environnant, et qui peut dès lors faire l’objet d’une étude indépendante.

Le second critère est historique car Valenciennes, Gand, Tournai, Ename et Anvers -les cinq agglomérations sur lesquelles est centrée l’étude- sont les seules de la vallée de l’Escaut, à l’époque carolingienne, à être dénommées dans les textes ou sur les monnaies par l’expression «portus». Malgré les nombreuses différences perceptibles entre ces implantations «portuaires», tant du point de vue de leur chronologie, que de leur statut politique, militaire ou religieux, la dynamique économique qui semble les réunir, grâce au fleuve, servira de fil conducteur à l’enquête archéologique. Un des enjeux de ce mémoire sera donc de déterminer si cette appellation trouve une résonance sur le terrain. Pratiquement, comment les portus scaldiens, pressentis comme d’actives places de commerce et escales portuaires, se caractérisent-ils d’un point de vue archéologique par rapport aux autres agglomérations situées le long du fleuve?

Le dernier critère est hydrographique car, dans l’analyse comparative qui suit directement la réalisation du catalogue archéologiques des portus, seules les agglomérations situées sur une portion navigable du fleuve ou de ses affluents ont été répertoriées. Encore faudra-t-il fixer les limites et les modalités de cette navigation à l’époque carolingienne. Enfin, à ces critères théoriques il faut ajouter une limitation d’ordre pratique: faute de temps, les agglomérations situées sur le Rupel et les rivières attenantes ne sont pas entrées en ligne de compte dans l’analyse.

Le plan du mémoire correspond réellement au développement et à la maturation de l’enquête tout au long de ces deux années. Tout d’abord, il convient de définir de manière précise la problématique (Chapitre I) dans laquelle s’insère l’étude. On l’a dit, Valenciennes, Tournai, Ename, Gand et Anvers sont dénommés portus dans les textes. Qu’implique cette appellation, peut-on y déceler des indices d’un développement économique particulier? On passera ensuite en revue les grandes théories relatives au développement urbain et aux échanges le long de l’Escaut, à l’époque carolingienne. En quoi l’archéologie a-t-elle un rôle à jouer? Dans un second temps (Chapitre II), on s’attachera à la partie proprement historique du mémoire. Que sait-on de l’Escaut, de ses caractères hydrographiques et de sa navigabilité ? Le contexte historique et économique a ici aussi une fonction essentielle, qu’il importe de retracer dans les grandes lignes. Enfin, on fera le point sur l’évolution historique de chacun des portus, des origines jusqu’au 11^e siècle, en mettant plus particulièrement l’accent sur la période carolingienne. Les sources écrites, traduites et intégrées, viendront à l’appui de l’argumentation. Le chapitre suivant (Chapitre III) concentre l’essentiel des recherches. En effet, les cinq sites ont fait chacun l’objet d’une enquête heuristique approfondie, dans le but d’en dresser un catalogue archéologique détaillé. Cependant, par manque de temps, une étude de cette ampleur n’aurait pu être étendue à tous les sites archéologiques ou historiques recensés de la vallée de l’Escaut. Afin de replacer les portus scaldiens dans un contexte suffisamment large, nous nous sommes contentés de rédiger pour chacun de ces sites une courte notice, reprenant l’essentiel de l’information historique et archéologique à leur sujet: tel est l’objet du chapitre IV. Sont concernées bien sûr les implantations humaines (villes, abbayes, sites fortifiés, sites ruraux) le long de l’Escaut, mais également de la Lys, de la Scarpe et de la Haine, les portus de la vallée de la Meuse, ainsi que tous les emporia du delta du Rhin et de la Manche. Ce chapitre est donc à considérer comme un terrain de comparaison, plutôt qu’un objet de développement. De ces multiples constats naîtra l’analyse croisée des résultats archéologiques (Chapitre V): les portus de la vallée de l’Escaut seront alors comparés sous divers aspects (habitat, structures religieuses et défensives). L’accent sera plus particulièrement mis sur les indices d’artisanat et d’activités de production, de même que sur les témoignages de consommation. Enfin, textes transcrits et traduits, tableaux, plans des agglomérations et illustrations diverses viendront étayer l’argumentation générale (Annexes).

Evidemment, le temps imparti à tel ou tel chapitre a parfois varié selon notre intérêt personnel pour la problématique abordée ou le site analysé. Mais pratiquement, la lourdeur de l’enquête heuristique et le temps nécessaire à la rédaction du catalogue archéologique ont fortement limité les possibilités de développement de la partie proprement analytique du mémoire. Avec quelques semaines de plus, peut-être…

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Si la réalisation d’un mémoire de fin d’études est essentiellement le fruit d’un travail personnel, elle n’aurait pas été rendue possible sans le concours de nombreuses personnes. Ici une relecture approfondie, là un conseil avisé, là encore un encouragement bienvenu ou une critique judicieuse; les mots me manquent pour exprimer ma reconnaissance envers tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à l’élaboration de cette étude.

Je tiens tout d’abord à remercier mon promoteur et initiateur du projet, M. Brulet. J’exprime surtout ma gratitude envers M. Verslype qui, sans relâche, a pris le temps d’orienter ces recherches. Je remercie également M. Pycke, qui a revu intégralement les traductions jointes à ce mémoire, ainsi que maman, pour les longues heures passées à la correction d’une étude si ardue.

Je profite de cette opportunité pour témoigner de ma reconnaissance envers les amis toujours présents, tant dans les difficultés que dans la réussite. Enfin, Sophie, je ne pouvais terminer en passant sous silence le rôle que tu as joué à mes côtés durant ces deux années. Car si la recherche est une chose, la vie de tous les jours en est une autre, et toi seule sais de quel côté mon cœur balance. Pour tout le bonheur passé, et pour toutes les promesses futures, merci!