Bijlage I: Jules Destrée in de inleiding van Le Roi Albert et son temps

VOLONTE DE VIVRE?

Quand je pense à ce peuple dont je suis, je néglige les individus, parfois médiocres ou déplaisants, pour ne songer qu’à la race qui est admirable et m'enthousiasme. Depuis les temps les plus lointains, elle vit dans une terre dévastée par les rivalités européennes, et, comme Ie souple et frêle roseau, se redresse après chaque tempête, jamais découragée, vaillante et tenace, avec une superbe, une indomptable volonté de vivre.

Cette volonté de vivre, cette ardeur passionnée de liberté et d'indépendance, s'exprime à peine chez ces taiseux; elle est sans déclamation et sans fanfaronnade; elle brûle à I'intérieur avec une intensité qui vient de I'inconscient. Malheur à qui s'y trompe! Nous sommes nés, avons souffert et grandi sous son signe. Entre toutes innocente, et sans responsabilité d'aucune sorte dans la catastrophe de la guerre mondiale, notre petite nation a été envahie, ravagée et meurtrie. Ses maisons ont été incendiées; ses habitants, fusillés. Pendant plus de quatre ans, une occupation étrangère sembla s'assigner pour tâche de l’épuiser et de la détruire. Les usines furent abattues, les ouvriers déportés. On put croire que la Belgique ne survivrait pas à des dévastations aussi affreuses et aussi systématiques, mais elle ne consentit jamais à mourir. Cette volonté de vivre, si caractéristique de la race, cette volonté de vivre, quand même, nul ne la personnifia mieux que Ie Roi Albert, en plein accord avec tous les Belges. Sa personne est désormais, dans I'histoire, inséparable du peuple anonyme. Il est la figure de proue du navire. Aussi, au moment où la Belgique va célébrer, dans la joie et I'orgueil d'une résurrection inespérée, Ie centenaire de son indépendance, on a pensé qu'il convenait de rendre, à I'un et à l'autre, un hommage exceptionnel et durable. LE ROI ALBERT ET SON TEMPS sera Ie tableau de ces vingt dernières années.  Les collaborations les plus qualifiées en marqueront les principaux aspects. Et, phénomène assez insolite, nouvelle preuve de la liberté et de l'indépendance innées, on ne trouvera dans ce volume consacré à un Souverain, aucune trace des courtisaneries d'usage. Historiens, savants et critiques d'art, hommes politiques de tous les partis, gens du Sud comme du Nord, auxquels toute liberté d'expression fut laissée, s'associent pour un hommage dont la discrétion méme indique toute la signification. L'emphase dans l'éloge en diminue la valeur, il suffit de se rappeler Ie démesuré des adulations qui s'aplatirent autour de Louis XIV ou du Kaiser d'Allemagne pour en comprendre I'insincérité allant souvent jusqu'au ridicule. Très simplement, très librement, les collaborateurs de I'ouvrage ont dit leur pensée sur les diverses activités du royaume et comment Ie Roi les avait comprises et favorisées. C'est que, quelle que soit la forme de gouvernement préférée, depuis la monarchie de droit divin jusqu'à la république, il faut accepter les faits. Un royaliste peut rendre justice à un Président de la République, un républicain peut apprécier les mérites d'un Roi. La monarchie constitutionnelle telle que la Belgique se l'est donnée, concilie les droits de la nation et l'avantage de la stabilité du pouvoir. A cet égard, la chance a favorisé la Belgique et les Constituants ont eu la main heureuse en appelant au trône Léopold de Saxe-Cobourg. Venu de l'étranger, il se voulut, et devint Belge. Sa descendance continua cette volonté. Autre faveur du destin : la durée des règnes. Léopold Ier meurt en 1865; Léopold II en 1909 et Albert règne depuis vingt ans. Ainsi d’amples desseins se peuvent réaliser avec continuité, et la nation échappe aux incertitudes et aux appréhensions qu'entraine tout changement dans l’autorité centrale. Trois rois, trois longues vies, trois fois la volonté de vivre.  Dans la nation, prospérité industrielle et commerciale sans équivalent, expansion coloniale, éclat des lettres et des arts, et après la tourmente, la restauration, toujours la volonté de vivre. Volontés singulièrement clairvoyantes. En ce qui concerne Ie Roi Albert, je me souviens de paroles qu'il me dit en octobre 1914, lorsque désireux de ne pas rester inutile en ces moments tragiques, j'allai Ie saluer à Anvers. A cette époque, Ie monde entier, alliés et certains neutres tout au moins, exhalaient avec exubérance I'héroïsme de la Belqique et de son Roi. Les plus hauts dans I'intellectualité humaine se répandaient en éloges flatteurs, en protestations de reconnaissance éternelle. La Chambre française venait de faire une manifestation émouvante, unanime et solennelle. De pareil encens tout autre eût été grisé. Le Roi demeurait modeste et soucieux de l'avenir. Nous sommes aujourd'hui á l'honneur, me dit-il posément. Mais la guerre sera longue et la succession des événements fera passer la Belqique à l’arrière-plan. Nos mérites ne sont d'ailleurs pas si exceptionnels, nous avons fait notre devoir simplement. Mais il ne faut pas qu'on nous oublie. Dites à Maeterlinck, dites à Verhaeren, à tous ceux qui savent écrire ou parler, qu'il y a aussi pour eux une manière de combattre et de se dévouer. Dites avec modération, avec sincérité, et sans être importun, ce qui s'est passé chez nous... Comme ces prévisions étaient sages!

            La victoire a permis aux alliés de nous rendre notre indépendance et nos libertés, mais l'énormité du conflit les a empêchés de tenir leurs promesses de restauration complète, l'Allemagne vaincue n'a pu payer que d'insuffisantes réparations et c'est par sa force vitale, par un suprême sursaut de la volonté de vivre que Ie peuple belge a pu remonter du fond de l'abime. Le présent volume dira où il en est à I'heure présente et peut-être y trouvera-t-on de nouvelles raisons d'estime, de sympathie, j'oserais méme dire d'admiration à ajouter à la réputation de loyauté que nous fit la guerre.