Critique des conditions de la durabilité: application aux indices de développement durable. (Bruno Kestemont)

 

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CONCLUSION

 

Nous espérons ne plus jamais devoir démontrer que la théorie néoclassique est intrinsèquement incapable de s’occuper du développement durable , voire qu’en tant qu’utopie, elle mène au contraire du développement durable, càd qu’elle permet de ne pas de répondre aux besoins des générations présentes tout en compromettant la satisfaction des besoins des générations futures .

 

Les instruments dits «économiques» deviennent dès lors suspects. Tout au plus peut-il s’agir d’emplâtres sur une jambe de bois, ne résolvant pas les problèmes en profondeur, mais plutôt à la manière d’un vernis. Ils sont seulement utiles dans le cadre d’une société de marché elle-même non durable. Ils servent à reculer l’échéance d’une remise en cause fondamentale des mécanismes du marché lui-même. Ils permettent de s’illusionner sur les possibilités de maintenir un niveau de vie basé sur le gaspillage des ressources, et le pillage systématique des laissés pour compte ou de leur environnement, càd de la majorité de l’humanité présente et de la totalité des générations futures à un horizon variable suivant le nombre de «nantis» que l’on désire voir profiter à chaque génération.

 

La théorie néoclassique résiste tellement peu aux évidences, aux raisonnements et à l’éthique la plus élémentaire que l’on peut se demander si sa popularité dans le monde «moderne » ne résulte pas d’une forme d’aliénation des esprits, encouragé sans doute par le mirage de la société de consommation, ses publicités et ses médias, voire, qui sait, par la propagande cynique de ceux à qui elle profite le plus.

 

Il reste que les gens ont besoin d’espoir et que les discours catastrophistes des «écologistes» ou des «humanistes» ne sont guère motivants.

 

Sur le plan théorique, comme le néoclassicisme est démoli de l’intérieur comme de l’extérieur, des «théories économiques alternatives» voient timidement le jour. Certaines d’entre elles (Sen) oublient le caractère social de l’être humain, d’autres (Chine ) oublient son caractère égoïste.

 

Nous nous sommes inscrits dans un mouvement de critique de la science elle-même, de son ethnocentrisme dès lors qu’il s’agit de définir un projet, le «développement durable », pour l’ensemble de l’humanité. Refuser d’entendre Maudo, ce petit paysan fier de ses valeurs au fin fonds de la brousse bissau-guinéenne, ne serait-ce pas oublier une part importante du savoir?

 

Poussés par de simples chasseurs-cueilleurs «pauvres et déconnectés», des anthropologues, malgré leur étiquette de conservateurs «culturalistes», pointent le bout du nez pour proposer une théorie de la réciprocité , et voilà que des psychologues y trouvent un fondement essentiel des comportements de l’homo economicus en personne.

 

L’homme de terrain ayant une perception intégrée (quoique forcément biaisée) de son horizon restreint, serait-il possible d’avoir une vision intégrée d’un horizon lointain? Serait-il possible d’intégrer les dimensions du développement durable , de trouver un nombre limité de principes qui puissent montrer la voie à suivre pour augmenter le bien-être de manière durabletout en limitant les «externalités », entendez les dégâts provoqués par ailleurs ou pour demain? A partir d’une théorie des externalités, nous avons pu suggérer que la prise en compte d’un horizon lointain, autrement dit la prise en compte du «plus que soi», de l’autre au sens large, avait un coût très important: le coût que les hommes sont prêts à payer pour vivre en société. Le coût de la réciprocité . Le coût que nous payons chaque jour et qui a mené notre espèce à passer les mailles de l’évolution , et qui nous donne, ensemble, une satisfaction certaine.

 

Une fois modélisées, les externalités ne prennent-elles pas, comme la réciprocité , la forme des relations tant recherchées dans les théories du développement durable , mais sur lesquelles peu de gens ont réussi jusqu’à présent à travailler? On lit en effet souvent «qu’il manque le lien» entre les différentes dimensions du développement durable, mais en pratique, tout le monde continue à travailler sur chaque dimension séparément, comme dans le cadre de la recherche d’indicateurs. Or, ce lien ne serait-il pas l’essence principale du développement durable, tout comme la relation est l’essence principale (avec l’ego), du comportement humain?

 

A ce stade de la réflexion, nous sommes tournés vers les indices et indicateurs du développement durable en tant qu’outils de décision et de communication. Car les indicateurs sont aux modèles de développement durable ce que la parole est à la réciprocité : c’est là que réside en partie le lien. C’est notamment autour des indicateurs que les hommes (et les ordinateurs) se rassemblent également pour penser, décider, échanger, s’harmoniser, définir un chemin commun pour l’humanité, avec le support de réseaux de plus en plus étendus, mondialisés ou presque (il y manque encore nos paysans pauvres et déconnectés). Chaque groupe de travail a ainsi, dans son coin, défini qui des jeux d’indicateurs, qui des indices synthétiques plus ou moins pondérés. Sur base de nos premiers chapitres, nous nous sommes permis de balayer du revers de la main les indices par trop inspirés du PIB . Puisque notre domaine de recherche est «global », nous avons dû également regarder d’un air très soupçonneux toutes les tentatives supposées définir un développement durable «adapté à une entité délimitée» par exemple un pays ou une région, ou un domaine (environnement, …): c’est peut être du développement, mais pas durable puisque nous avons postulé que les externalités représentent le cœur de la formule mobilisante de Madame Brundland (… sans compromettre les besoins …). En particulier, l’ESI du Forum économique mondial a subi le feu de nos critiquesavec pour résultat: mention zéro.

 

Revenant sur le principe des externalités , nous avons cherché des exemples, dans le domaine de l’environnement et de la comptabilité nationale, de l’étude des liens entre disciplines, et de la prise en compte du reste du monde sur le pan géographique. O miracle, ces exemples existent et prouvent que cet exercice est possible. Il est possible de concevoir un modèle qui mette en évidence les relations entre entités a priori fort différentes. L’exemple vient d’une part des «comptables nationaux» eux-mêmes, d’autre part des écologues. Ces tentatives ne couvrent pas encore toutes les dimensions, mais l’approche qu’ils proposent est potentiellement généralisable. Sur cette bonne nouvelle, nous avons dû faire une pose pour comparer des indices populaires (donc comportant des messages importants), et voir dans quelle mesure ils tenaient compte de diverses dimensions essentielles du développement durable .

 

A ce point du travail, il reste de nombreuses voies à creuser.

 

L’analyse multicritère (Faucheux, Vincke) pourrait s’appliquer aux comptes satellites développés dans la comptabilité nationale et apporter un support sous forme de «lien politique » entre dimensions «inconciliables». Des indices implicites résultats de sorte «d’arbres de décision » (Faucheux et Noël) pourraient peut-être prendre la place de pondérations figées utilisées actuellement? Ce sont des facteurs limitants qui donneraient alors le verdict de durabilité pour chaque pays (par exemple, dépasser une norme environnementale entraîne la non durabilité). On peut imaginer des indicateurs se concentrant non plus sur les relations, mais sur les «victimes» (quels sont les «sacrifiés» de chaque système), la limitation des dégâts étant une contrainte de durabilité, le développement étant ensuite libre sous ces contraintes (c’est implicitement le modèle de libéralisme bridé utilisé dans la gestion des affaires publiques en Belgique ou en Chine , sauf que les normes seraient beaucoup plus axées sur la durabilité globale). La diminution de «l’empreinte sociale» serait alors une priorité non seulement politique mais également une voie «rationnelle»: un développement basé sur l’exploitation (de l’homme ou de l’environnement) ne peut pas être «durable». On peut aussi se demander quels éléments de cultures sont porteuses ou non de durabilité. Enfin, au delà des indicateurs «statiques» eux-mêmes, il faudrait retomber sur les étapes à accomplir pour tendre vers le développement durable : que faire en pratique? quel est le chemin du développement durable suivant l’état initial de chaque pays?

 

Autant de questions que la recherche d’indices continuera à alimenter.

 

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